8 RUE DES MARTYRS, 75009, Paris — DEUXIÈME ÉTAGE

Il était onze heures du soir lorsque le dernier invité est parti. Gabi s'est retirée. Rivail s'est rendu dans son bureau. La journée du 18 avril 1857 était finie, elle fût, peut-être, l'une des plus importante journée de sa vie.

Paris, 9ème arrondissement, le 27 octobre 2012.

Nous sommes passés par la basilique Notre-Dame de Lorette, en marchant à pied vers le boulevard de Clichy, où se trouve le Moulin Rouge, comme si on allait vers la place du Tertre à Montmartre. À partir du deuxième semestre de 1855, l'illustre professeur dont nous allons faire référence passait toujours devant cette église lorsqu’il rentrait à pied chez lui.  Puis nous sommes allés vers la rue des Martyrs, notre objectif principal. Il y avait un marché aux puces très intéressant. À cause des larges trottoirs, la circulation automobile n’avait pas besoin d’être interrompue. Il y avait des antiquités, des friandises, des chapeaux, toutes sortes d'art, des petits objets de décoration, des fruits. Les énormes framboises et les champignons ont attiré notre attention. Nous avons pris à droite. Nous sommes arrivés au numéro 8. La porte était fermée.

A cette adresse vivait le prof. Rivail (Hippolyte Léon Denizard Rivail) et son épouse Amélie Gabrielle Boudet lors du lancement du Le livre des esprits, qui s’est déroulé le 18 avril 1857. Rivail serait connu, à partir de ce jour, dans le monde entier sous le nom d’Allan Kardec, l’Encodeur du Spiritisme. À travers cet appartement d’aspect dépouillé, assistant cette noble mission du maître respecté, outre que l'Esprit Vérité, sont probablement passés d'autres illustres personnages tels que Benjamin Franklin, Swedenborg, Saint Louis, Platon, Erasto, Pascal, Lammenais, Vianney, Paul de Tarse et tant d'autres.

Elise et moi ne savions pas trop quoi faire devant la porte fermée, comme pour empêcher la réalisation d'un rêve: connaître l'endroit où Rivail avait si souvent passé. Le bâtiment conservait le même caractère modeste des temps anciens. En effet, le couple d'intellectuels avait toujours vécu modestement. Ils déménagèrent dans cet appartement en juillet 1855. Le contrat dura jusqu'en 1858. Il s'agissait peut-être du dernier logement loué, car ils attendaient leur propre maison, encore en construction, à Vila Ségur, district des Invalides. Dans ces années, l’éclairage au gaz avait été installé il y avait peu de temps. Mais les bougies hautes et épaisses, aux bras de lumière en métal, restaient un complément indispensable.

Nous avons suivi notre chemin, en passant par Hippolyte Lebas, puis Choron, Manuel, en traversant la Tour d’Auvergne, puis Condorcet. Sur l’avenue Trudaine, nous avons passé de l’autre côté de la rue, puis nous sommes redescendus vers le marché aux puces, en nous arrêtant pour admirer les curieux objets exposés. La plupart d'entre eux nous remettait à des temps passés. Et tout de suite nous sommes revenus au numéro 8.

Nous avons, à nouveau, traversés la rue. J'ai parlé à un homme dans un restaurant à côté du numéro 8. Mes conversations sont toujours précédées de "je ne parle pas bien le français ...". Cela m’ouvre généralement mes portes. Et c’est encore mieux quand je dis "je ne parle pas un mot de français". Et les Français rigolent. Il a compris que je voulais rentrer et photographier l’endroit, car quelqu’un de très important vivait là-bas. Et s'il connaissait quelqu'un qui pouvait ouvrir la porte. Il l'ouvrit lui-même. Il m’a fait confiance.

Je l'ai remercié. Avant d'entrer, cependant, j'ai jeté un coup d'œil dans la rue. Mystérieusement, je n'ai pas vu les voitures passer entre les stands. Il n'y avait plus de tentes. Un landau était devant le bar. J'ai remarqué qu'un morceau de bois bloquait la roue avant afin que la voiture ne descende pas sur la piste en pente. Les chevaux, les yeux fermés, reposaient patiemment en attendant le chauffeur. De l'autre côté, une voiture plus simple avec un seul cheval. Deux hommes étaient assis à la table et buvaient du bourbon avec du lait. Ils mangeaient une brioche. Plusieurs enfants vêtues en grande pompe du dimanche et se tenant par la main descendaient vers l'église. Il n'y avait plus d'asphalte: des pierres sans gréement couvraient la rue.

J'ai remarqué que je n’avait pas mon appareil photo. J'ai senti que ce n'était pas la fin de l'automne. Le temps était doux maintenant. C’était un dimanche de printemps, au lendemain du 18 avril 1857, qui marqua la France avec le lancement du livre et qui inaugura un nouveau voyage dans le champ de la pensée du monde. Nous étions donc le 19.

Nous avons monté lentement les marches en bois qui donnent accès aux deux appartements du deuxième étage. Au-dessus, il y avait encore un troisième, et un toit percé, où apparaissent deux hautes fenêtres vertes. L'appartement de Rivail et d'Amélie était à droite. Nos pas prudent avaient quelque chose de respectueux. Nous étions à quelques mètres de l'appartement où Le livre des esprits avait été élaboré et souvent révisé sous le regard perspicace et constant de l'Esprit appelé Vérité et d'une pléthore de collaborateurs dont les noms furent ensuite imprimés dans L'Evangile selon le spiritisme. Parmi eux, Saint Augustin, Jean l'évangéliste, Saint Vincent de Paul, Socrates, Fénelon, Swedenborg, Hahnemann...

La porte était entrouverte. À notre arrivée, le mouvement de l'air a poussé la porte légèrement plus loin. J’ai frappé quatre coups légers. Rien de rien. J’ai alors frappé plus fort. Personne n'a répondu. J'ai suivi l'impulsion d'entrer, même sans personne à la maison. Ma passion éclipsait-elle ma raison? Personne ne saurait le dire… je suis entré quand même. Elise n’a pas voulu, elle décida d'attendre dehors. Je les ai appelés:

— Monsieur Rivail... Madame Boudet...

Il n'y avait vraiment personne.

La disposition de l'appartement, qui avait un long couloir au milieu, n'était pas très fonctionnel. Il avait une superficie d'environ 50 m². La chambre était juste à l'entrée et était divisée par un paravent en bois, laissant la place à un bureau. Ensuite, une pièce également divisée par un rideau en velours rouge foncé, formant deux environnements: le salon et la salle à manger. Au fond, se trouvait la cuisine. La salle de bain était commune aux deux appartements. Chaque pièce donnait sur le long couloir. La ventilation était, bien sûr, du côté opposé à cette circulation. Les fenêtres de l'appartement de Rivail et de Gabi ne donnaient pas sur la rue des Martyrs. Elles donnaient sur une cour intérieure. Et elles avaient toutes des rideaux de rouler, avec de larges ourlets.

Le bureau était, pour moi, la partie la plus importante de la maison. Je suis retourné dans la pièce en trébuchant sur l'une des pantoufles du professeur, qui était sortie avec Gabi et avait oublié la porte ouverte. Malgré la petite taille de l’appartement, il comprenait un ancien ensemble en chêne composé d’un bureau, un fauteuil, deux chaises et d’une bibliothèque en bois et verre remplis de livres. Le couple les avait amenés de l'Institut de la rue de Sèvres.

Il avait plusieurs tableaux sur les murs. Le plus grand était un à crayon de Pestalozzi. Il y avait aussi une photographie de Rivail de demi-profile selon la méthode de la vapeur d’iode sur du métal argenté. Il avait 10 ans, mais c'était toujours considéré comme une nouveauté. Des dessins et des croquis de Gabi, à crayon et à la plume étaient également accrochés au mur. Les peintures à l'huile se trouvaient dans le salon. Au mur, encore, il y avait aussi de nombreux diplômes de sociétés culturelles.

Dans le salon au plancher tapissé, avec ses meubles en acajou, une bibliothèque plus sophistiquée, avec des portes en cristal, en bois travaillé et peinte à l'huile. À l’intérieur, il y avait les livres préférés de Gabi et les trois qu’elle avait écrit, à dos rougeet avec des lettres dorées. Sur les étagères supérieures, les livres de Rivail signés H.L.D. Rivail ou H. Denizard, avec le dos en cuir gris poli et de lettres dorées, dénonçant un homme aux multiples facettes d’intelligence et de culture. Rivail, pédagogue, professeur d'arithmétique, de géométrie et de grammaire française. Traducteur du français vers l'allemand; de l'anglais, l'allemand, l'italien et l'espagnol vers le français.

Dans la salle à manger, le mobilier était en chêne, laqué brun. Sur le plancher, il y avait un tapis aux motifs floraux. Parmi les peintures, une réplique de La Cène de Da Vinci.

La veille, Rivail et Gabi ont reçu des invités. Ils ont célébré ce samedi très spécial le lancement de Le livre des esprits, dont les originaux avaient été livrés à Dentu en janvier. J'essayais d'imaginer comment les gens s'étaient positionnés dans ce petit appartement, qui ne pouvait recevoir pas plus de vingt personnes. Ils ont dû s’éparpiller dans toutes les pièces, probablement en petits groupes. Bien sûr, je ne prends pas en compte les désincarnés, qui étaient nombreux.

Les invités étaient soit des personnes proches des Rivail, soit des personnes associés à la réalisation de l’œuvre qui naissait – ou qui serait lié à l’édition augmentée à venir. Selon le Dr Canuto Abreu, ils étaient: les Baudin, les jeunes femmes Caroline et Julie Baudin, Mme. Plainemaison, les Dufaux et leur fille Ermance Dufaux, M. Japhet et sa fille Ruth Japhet, les Roustan. On dit que Roustan aurait été Dimas, le bon voleur, à l'époque du Christ. Parmi les invités se trouvaient le professeur Canu et son épouse, le libraire Clément et son épouse, les Leclerc, les Roger, le marchand Carlotti et sa fille Aline,le chiromancien De Cardone et M. Fortier.

Les conversations étaient évidemment animées. De personnes gentilles, éduquées, spiritualisés, partageant de nobles objectifs, unis pour la plupart par un idéal en commun. À la fin, M. Kardec a parlé. Et quant à l’indispensable prière de remerciement à Dieu, Jésus, au Grand Monde, j’ai essayé d’imaginer où l’éméritte professeur aurait put se trouver pour la prêcher, quand l'atmosphère était remplie de lumière, qui a été témoigné par les filles médiums présentes. Il était onze heures du soir lorsque le dernier invité est parti.

Il était aussi temps que je parte. Elise, patiente, était assise sur l'escalier quand je me suis appuyé contre la porte. Nous sommes descendus.

En sortant, le marché était encore là. Le bourdonnement était enorme. Klaxons. Bruit des voitures passant, des personnes transportant les matériaux après le démontage.

Je n’ai pas exactement aperçu ce qui s’est passé le 27 octobre 2012. Mais d’une chose j'étais certain —– les récits de Canuto Abreu, son livre intitulé Le livre des spirits et sa tradition historique et légendaire, m'avait envahi l'esprit. Après tout, étais-je entré ou pas dans l'appartement de Kardec?

Aristides Coelho Neto, le 18 avril 2013 (156 ans plus tard...)

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NOTE — Publié dans le Réformateur (Reformador) n° 2.281 (année 137), en avril 2019.

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